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La vie n'est pas le travail :
travailler sans cesse rend fou.
(Charles de Gaule)

Petits boulots, petits revenus, petits besoins

 

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De quoi te plains-tu ?

Notre société étant ce qu'elle est, même le pauvre doit avoir du pognon. Du moins au début, tant qu'il est sous dépendance de son passé de consommateur.

Heureusement pour toi, Michel Rocard a inventé l'exclusion ainsi que le RMI qui va avec. Il suffit ainsi de te faire connaître en tant que SDF pour te voir attribuer une rente mensuelle de 336 à 380 euros (2200 à 2500 balles) selon que le ciel au-dessus de ta tête est couvert ou étoilé.

Le français moyen est persuadé qu'une telle somme ne permet pas de vivre décemment (1). Le clochard nouveau-né aussi. Et pourtant ! Qu'est-ce que tu as comme frais fixes ?

« Si tu es malin et à la rue, tes 2500 picotins, tu peux te les garder comme argent de poche »

Tu peux manger gratos, le Secours Populaire ou Catho peut te filer des fringues régulièrement, des Boutiques de Solidarité te permettent de te laver, linge compris, pour pas un rond, café offert en prime. Jusqu'au tabac que tu peux ramasser aux arrêts de bus si la météo y met du sien. Et lorsque le temps se gâte tu n'as qu'à faire un tour à l'asile du coin.

Si tu es malin et à la rue, tes 2500 picotins, tu peux te les garder comme argent de poche. Demande donc au smicard s'il dispose d'une telle somme à claquer chaque mois en tiercé et/ou en demi de bibine ! En fait, beaucoup de vrais SDF disposent d'une somme rondelette accumulée sur un livret d'épargne (nous y reviendrons plus loin).

D'où viennent alors les récurrentes demandes de relèvement des minima sociaux ? Démagogie, récupération, amalgame et désinformation y seraient pour quelque chose... C'est vrai que ceux qui gueulent le plus fort ne sont pas toujours les plus mal nourris. C'est tout aussi vrai que la réalité est plus complexe que ce que quelques slogans bien torchés pourraient laisser entendre à grands coups de mégaphone et de 7 secondes au journal de 20H.

 

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Explication de texte

Observons de près un RMI par exemple. On s'aperçoit aussitôt qu'il est versé à deux populations très différentes. D'une part les sans domicile fixe, subdivisés entre ceux qui dorment vraiment dehors et ceux qui fréquentent assidûment asiles et foyers. Ces SDF-là touchent 2500 balles net par mois. D'autre part, de très loin la plus grosse part, silencieuse parce que trop occupée à survivre pour avoir le temps de se manifester, tous ceux avec domicile fixe mais sans aucune ressource. Ceux-là touchent 2200 fr de RMI plus une allocation logement variable en fonction du loyer. Les chiffres datent de 1999, depuis ils ont peut-être augmenté de 2%, soit 50 balles de mieux par mois. Au maximum.

Pour ceux qui sont à la rue, le RMI est destiné à rendre la délinquance moins nécessaire. Pour ceux qui ont un toit, il sert à les ligoter dans l'exclusion afin que le reste du pays puisse maintenir son train-train de vie.

« Pour ceux qui sont à la rue, le RMI est destiné à rendre la délinquance moins nécessaire »

Voilà la face cachée des deux premières lettres de RMI : revenu minimum (le I est abordé dans le chapitre réInsertion). Reconnais au passage les qualités de concision et d'exactitude de Michel Rocard.

Venir à bout d'un RMI en 30 jours n'est pas à la portée du premier consommateur venu. Cela demande une adaptation +/- longue selon tes capacités d'. En simplifiant outrageusement, disons que si tu prétends continuer à te conformer à tout ce que tu as appris depuis ta plus douce enfance, tu vas traverser une crise existentielle sévère. Alors que si tu es capable de te remettre en cause de la cave au grenier, tu vas découvrir qu'il est facile (relativement, c'est noté) de vivre confortablement, voire même de te tricoter un joli bas de laine. Oui oui, à partir d'un RMI standard.

 

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A malin, malin et demi

En premier lieu, comprendre que ce n'est pas parce que tu touches le RMI que tu n'as pas le droit de faire des heures sup. Même si, pour que cela reste générateur de plus-values, il faut savoir interpréter de façon novatrice quelques lignes de législation. Les métiers qui s'offrent à toi sont variés et nul doute que tu trouveras parmi un stock d'options le secteur où tu pourras exprimer ta créativité.

Les principaux domaines d'activité concernent la manche (mendicité en médiatiquement correct), la débrouille (débrouillardise en médiatiquement correct) et enfin la bricole ou le black (travail déclaré ou au noir en tu sais quoi). Toutefois, ces appellations ne sont pas certifiées ISO 9002 et il est parfois difficile de savoir d'où provient le pognon.

Le SDF a donc du fric à flamber. Les moins malins le biberonnent rapidement et se finissent le mois à la manche. Les autres manchent, bricolent ou se débrouillent avec obstination, contrôlent leur consommation et thésaurisent, sauf chômage météorologique.

Et c'est ainsi que certains livrets d'épargne de cloches ou de RMIstes dépassent la brique de crédit. Aberration ? Que nenni. Saine réaction que celui qui a un jour manqué cruellement de quelque chose fasse en sorte que cela ne puisse pas se reproduire.

« pour que cela reste générateur de plus-values, il faut savoir interpréter de façon novatrice quelques lignes de législation »

Ta grand-mère qui stocke huile, sucre et préservatifs chaque fois qu'un militaire français nettoie son fusil se comporte exactement de la même façon.

Pourquoi rester à la rue si tu as plus d'un bâton sur ton compte ? Question bien plus fondamentale qu'il n'y paraît, approchée dans le chapitre réinsertion. En bref (le temps du non-exclu est précieux), pour le clodo qualifié l'argent ne représente plus rien et il ne sait pas quoi en faire. Ce n'est pas un comble, c'est la différence entre pauvreté et exclusion.

De toute façon, ce n'est pas une brique ou deux qui suffiront à te sortir de l'exclusion. Celle-ci, comme son nom l'indique, ne dépend pas que de toi mais aussi des autres. Un exemple concret ? Va trouver un logement si tu n'as pas de fiches de paie à présenter. Utilise donc ton argent pour te faire quelques extra de temps en temps et gardes-en une partie comme parachute en cas de coup dur.

 

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Les emmerdes commencent dès que tu quittes ton trottoir

En second lieu (le premier est juste au-dessus, pas la peine de vérifier), ce n'est pas parce que tu as de l'argent que tu es tiré d'affaire. Un RMI boosté de revenus complémentaires est amplement suffisant si tu es clochard, c'est une autre paire de manches si tu t'es installé dans une piaule. Le pauvre de l'an 2000 n'est pas celui qui déhonore son trottoir en y tendant la main, c'est celui que tu ne soupçonnes même pas d'exister tant il est discrètement occupé à ne pas mourir dans l'heure qui suit.

En supposant que le déroulement de ta carrière d'exclu t'ait permis de poser ton sac au sec, assurer ton maintien dans ce logement va devenir un boulot à plein temps. Tu voulais un toit, tu l'as. Tu aurais pu te douter que tuiles et ardoises sont fournies avec...

Logement = échéances, impossible de passer à travers. Loyer, charges, assurance, énergie, eau, téléphone, entretien, réparations, effraction, amélioration de l'habitat et autre redevance audiovisuelle sont compris dans le lot.

« Tu voulais un toit, tu l'as. Tu aurais pu te douter que tuiles et ardoises sont fournies avec... »

Nourriture, habillement, transport, hygiène, culture, information, loisirs n'apparaissent pas ici car n'étant pas directement liés au logement.

De deux choses l'une : soit tu n'as que le RMI complété de l'allocation logement, soit tu es en état d'arrondir tes fins de mois.

Dans le premier cas, accepte nos condoléances les plus sincères. Parce que tu vas mourir bientôt. En tant que digne représentant de l'espèce humaine dans le meilleur des cas. Pour plus d'infos, tu n'as qu'à aller voir le paragraphe qui exploite scandaleusement la question du logement.

Dans le second cas, tu as intégré l'idée selon laquelle nécessité fait loi et tu parviens à faire rentrer un peu d'argent +/- clandestin dans ton porte-cartes de crédit. Sous certaines conditions, il est alors possible que tu puisses envisager rester locataire assez longtemps pour que ton entourage soit stupéfait par ta réinsertion.

Un mot sur les conditions susmentionnées ? Bon. Pas de picole en semaine, d'abords ça coûte trop cher, ensuite un poivrot n'est bon à rien et on ne peut pas compter sur lui pour du boulot. Un moral en béton de première qualité pour encaisser les dizaines de "désolé, mais je ne peux pas te garder" que tu vas entendre. Une certaine philosophie est également fort utile pour lisser les aléas, innombrables, de ta vie. Un ou des centres d'intérêts jalousement cultivés pour penser à autre chose qu'à ton nombril et ne pas virer carriériste. Un optimisme capable de terrasser le moindre doute. Entre autres.

 

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Faut-il être malhonnête pour gagner sa vie ?

Travailler à rester solvable pour tous ceux qui cherchent à te bouffer la laine sur le dos va te prendre le plus clair de ton temps. Pourtant au début c'est génial. Tu es enfin CHEZ TOI, même que ton nom est soigneusement calligraphié sur la boite aux lettres et sur la sonnette. Tu invites tout ce que tu connais de paumés pour leur faire voir ce que toi tu es capable de faire quand tu t'énerves. Par la suite, ça se nuance un peu. Les fameuses échéances mentionnées plus haut qui s'infiltrent par la boite aux lettres...

Tu colmates les fuites comme tu peux, mais de temps en temps tu es contraint de recourir aux services sociaux ou aux associations que tu t'étais pourtant bien promis/juré/craché de ne plus fréquenter. Autant de perdu pour ton image de marque que tu commençais à restaurer. C'est pourtant pas faute d'enchaîner stages bidons, petits boulots, temps partiels, horaires décalés ou fractionnés et autres bienfaits de la nouvelle économie.

Mais tu ne sais pas encore le pire. Mélanger allègrement RMI, allocation logement et salaires diversement déclarés est une excellente recette pour se retrouver à la rue. L'administration est bien incapable de gérer avec le même brio que toi tous les bouleversements que tu fais subir à ta situation financière.

« Mélanger RMI, allocation logement et salaires diversement déclarés est une excellente recette pour se retrouver à la rue »

Rien que pour le RMI, elle ne te demande des comptes que tous les trois mois. En trois mois, si tu te bouges un peu et que la Force est avec toi, tu peux parfois fournir plus de vingt fiches de paies d'employeurs différents.

Devant un tel déferlement, la CAF, après un savant calcul, va adapter le montant de ton RMI en fonction de tes ressources déclarées. Ou de ce qu'elle en a compris. L'expérience montre que le résultat est rigoureusement imprévisible. Tu peux aussi bien recevoir une lettre t'annonçant la suppression de ton RMI et te sommant de rembourser plusieurs milliers de francs qu'une autre maintenant ton RMI dans son intégralité, parfois même y ajoutant un versement de rappel que tu perdrais ton temps à chercher d'où ça vient. La règle : si ça baisse, râle, si ça monte, ferme-la.

Dans l'exemple présenté et commenté par ailleurs, l'allocation versée mensuellement par la CAF varie de 0 frs à plus de 4000 frs. Après d'âpres négociations destinées à limiter l'amplitude des variations... Va faire un budget prévisionnel dans ces conditions ! La seule façon de ne pas te prendre une gamelle consiste à faire des économies et donc, obligatoirement, à ne pas déclarer certains revenus. Vouloir redevenir honnête citoyen passe par la dissimulation et le mensonge. Un comble ? Un vrai.

Si malgré quelques autres coups bas prévisibles tu persistes à honorer tes factures tout en mangeant à ta faim, tu seras alors parvenu au nirvana du pauvre : solidement ancré dans ton statut d'exclu, il ne te reste plus qu'à attendre tranquillement la retraite.

Minimum vieillesse, bien sûr. S'il existe encore.

 


(1) NDLR : "vivre", "décemment", et "vivre décemment" feront l'objet de 3 sites à venir

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