Et tu voudrais que je te croie ?
Au mois de janvier 2001, l'Insee a réalisé une
enquête de grande envergure pour tenter de mettre un peu
de rigueur dans la comptabilité des sans dommicile fixe.
Auparavant, les chiffres utilisés étaient des approximations,
des estimations très peu fiables et pouvant varier dans
des proportions étonnantes (de 100 000 à 600 000...).
Tout juste un vague consensus s'était-il installé
autour de 200 000 sdf en France.
En janvier 2002, l'Insee publie les résultats. Qui sont
aussitôt répercutés par les médias.
C'est là que je me suis énervé...
Page ouverte à Libé
Bonjour M. le président directeur général
co-gérant directeur de la publication éditorialiste
Serge July,.
Ca tombe bien, cette histoire de journaux gratuits. Pour moi,
du moins. Je venais de me convaincre à grands coups de
paresse et de lâcheté de ne pas agonir d'insultes
irréversibles un de tes journalistes, mais ton éditorial
sur les vrais-faux journaux (Libé du
19/02/02) m'a heureusement réveillé.
Dans un récent article, Tonino Sérafini, journaliste
à Libé, est en effet coupable (jugement personnel,
bien sûr) d'avoir gravement porté atteinte à
"l'expertise, l'intelligence, le repérage, le décryptage
et le choix en fonction de valeurs propres à [Libé]"
, pour reprendre les termes de cet éditorial.
Cet article de Tonino Sérafini,
titré "86 000 Français n'ont nulle part
où dormir" (*),
est daté 29/01/02. Il informe, avec tous les qualificatifs
rapportés plus haut, de la publication par l'Insee de l'enquête
sur les sans domicile fixe en France métropolitaine. Sauf que.
Sauf que l'article de Sérafini
remet en cause ce que je croyais naïvement savoir. Et que
j'ai donc récupéré sur le site de l'Insee
les n° 823
et 824
d'Insee Première qui résument les travaux des chercheurs.
Et ça ne correspond pas à ce qu'écrit Tonino
Sérafini. Mais alors, pas du tout. Et ne vient pas me dire
que ton journaliste n'a pas fait cette élémentaire
vérification (1).
La définition
de l'expression "sans domicile fixe" est certes particulièrement
ardue, et un travail de comptage est forcément casse-gueule.
Les chercheurs multiplient donc les précautions
de langage et les encadrés explicatifs. Ils précisent
ainsi les critères qu'ils ont utilisé pour trier
les sans-abri des sans domicile fixe. "Détails"
manifestement négligés par le journaliste Sérafini.
Un exemple suffira pour montrer le raté du bon Tonino.
L'Insee commence son résumé par cette phrase
: "Au cours d'une semaine du mois de janvier 2001, en
France métropolitaine, 86 500 adultes ont fréquenté
au moins une fois, soit un service d'hébergement, soit
une distribution de repas chauds". Tonino traduit ça
à la tronçonneuse : "86 000 français
n'ont nulle part où dormir". L'expression "usagers
des services d'aides" (ou un équivalent) est ensuite
utilisée 22 fois en quatre pages par les chercheurs. Sans
compter le titre. Sérafini plaidera-t-il la bonne foi en
affirmant que tous les sdf de France ont utilisé
les services d'aide au cours d'une semaine du mois de janvier 2001 ?
L'Insee, elle, précise qu'elle
en ignore le nombre total et qu'elle prépare une nouvelle
étude dans l'espoir de chiffrer au plus près la
population réelle de sdf. De plus, pressentant le dérapage,
les chercheurs ont lourdement insisté sur les limites de
leur travail. Du béton, quoi. Précautions exceptionnelles
même à l'Insee. Seul raté (mais quel raté
!), ils mentionnent à peine que l'enquête s'est faite
à partir d'interviews (2).
En fait, en relisant le résumé des statisticiens
(voir encadré définition),
on retombe sur une estimation proche de celle communément
acceptée, qui est d'environ 200 000 sans domicile
fixe. Tonino reprend d'ailleurs ce chiffres pour l'opposer aux
86 000 qu'il a, lui, trouvé en expertisant avec intelligence,
en repérant, en décryptant et en choisissant en
fonction de valeurs propres à Libé dans le compte-rendu
de l'Insee...
Sérafini s'est lamentablement planté. Limite
désinformation. Aucune excuse possible de la part d'un
pro. Inacceptable dans mon Libé chéri-chéri.
July, ton éditorial n'y changera
rien : je n'aurais plus confiance dans ce que je lirais dans Libé.
Et ça me fout les boules. Parce le Monde aussi s'est planté.
Moins profond, mais quand même. Et je ne lis pas le Figaro
(3).
Selon moi, si les journalistes de Libé faisaient leur
travail tout bien comme décrit dans ton éditorial,
je ne devrais pas avoir à lire des conneries de ce genre.
Voilà, c'est le mot que je cherchais : Tonino Sérafini
est un con ! Donc ceux qui l'emploient aussi. Il est coupable,
ils sont responsables. Et, j'ai vérifié, c'est toi
le patron.
Désolé. Vraiment désolé.
Définition des sans-domicile utilisée
par l'Insee
Source : Insee
Première n° 823 - Janvier 2002
Comment a-t-on défini
la situation de sans-domicile ?
Une personne est dite sans-domicile un jour donné si
la nuit précédente elle a été dans
lune ou lautre des deux situations suivantes : soit
elle a eu recours à un service dhébergement,
soit elle a dormi dans un lieu non prévu pour lhabitation
(rue, abri de fortune).
Ainsi définie, la catégorie des sans-domicile est
plus large que celle des sans-abri : elle inclut les personnes
hébergées pour une longue durée comme les
femmes résidant en centre maternel. A linverse,
cette définition peut paraître restrictive ; elle
exclut notamment les personnes sans logement et contraintes de
ce fait de dormir à lhôtel (à leurs
frais) ou de se faire héberger chez des particuliers ou
doccuper un logement sans titre. Enfin cette définition
nintègre pas non plus les personnes logées
dans des conditions particulières (constructions provisoires,
habitations de fortune, habitations mobiles).
Daprès le recensement de la population de 1999,
le nombre de personnes dont la chambre dhôtel constitue
la résidence principale sélève à
51 400. Le recensement indique également que 41 400 personnes
sont logées dans des habitations de fortune ou des constructions
provisoires comme par exemple des baraques de chantiers, des
caravanes immobilisées, des cabanes aménagées,
des locaux agricoles reconvertis en habitation. Ces lieux dhabitation
sont considérés comme des logements dans les enquêtes
habituelles de lInsee. Enfin, le nombre de personnes logées
en habitation mobile sélève à 129
000, ce sont principalement des gens du voyage. Par ailleurs,
daprès lEnquête Logement de 1996-1997,
on peut estimer à 80 000 le nombre de personnes de 17
à 60 ans en situation dhébergement contraint
dans un logement, sans être ni descendants ni ascendants
de la personne de référence du ménage ou
de son conjoint. Enfin, on ne connaît pas au plan national
le nombre de personnes qui habitent un logement sans titre doccupation.
© Insee 2002 |
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Cadrage de l'étude de l'Insee
Source : Insee
Première n° 823 - Janvier 2002
Les limites de létude auprès
des usagers des services dhébergement
et des distributions de repas chauds.
Tous les sans-domicile qui dormaient dans la rue ou dans des
abris de fortune (gare, centre commercial, cage descalier,
voiture) en janvier 2001 nont pas été pris
en compte par la présente étude ; en premier lieu,
ceux qui ont dû passer une courte période de temps
dans la rue sans avoir à faire appel au réseau
daide. Ainsi, les personnes contraintes de dormir une nuit
dans la rue, par exemple à la suite de violences conjugales,
nont pas été comptées dans létude.
Lenquête na pas non plus atteint les sans-domicile
ayant séjourné dans la rue plusieurs jours durant
le mois de janvier 2001 sans jamais faire appel à un centre
dhébergement ou à une distribution de repas
chauds faute den connaître lexistence ou par
choix. Ces personnes survivent avec des moyens de subsistance
divers : revenus procurés par la «manche»
ou des petits boulots occasionnels, soutien des habitants du
quartier, nourriture glanée sur les marchés, produits
donnés par les commerçants, prestations sociales.
Enfin, létude manque les sans-domicile présents
dans les agglomérations dépourvues de services
dhébergement et de distributions de repas chauds.
Il sagit principalement dagglomérations de
petite taille dans lesquelles on peut supposer que la précarité
résidentielle conduit à résider dans des
constructions provisoires ou des habitations de fortune transformées
en logement (bâtiments agricoles, baraques de chantier,
caravanes immobilisées) plutôt que dans des lieux
publics ou des abris de fortune. Daprès le recensement,
en 1999, dans les communes rurales et les agglomérations
de moins de 20 000 habitants, le nombre de personnes résidant
dans ce type de logements sélevait à 24 000.
Une étude méthodologique complémentaire,
réalisée par lIned en collaboration avec
lInsee, tente dévaluer, par dautres
méthodes, la part des personnes sans-domicile qui nont
pas de contact avec les services dhébergement et
de restauration.
© Insee 2002 |
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(*) : un
extrait du site de libé est
à ta disposition.
(1)
: son truc ressemble quand même vachement à un papier
baclé d'après une dépêche AFP...
Mizajour 01/03/02 : à propos de cette
note, Tonino Sérafini m'a fait parvenir les précisions
suivantes, directement copiées/collées depuis ses
courriers :
- a) "avant
d'écrire mon papier j'ai eu long entretien téléphonique
avec l'un des auteurs de l'étude à l'INSEE."
- b) "j'ai pris soin de rechercher les dépêches
AFP portant sur le sujet qui nous interesse. Je tiens à
vous dire que vos affirmations sont totalement diffamatoires.
Pour une raison très simple: dans mon papier je fais un
développement assez important sur la façon dont
les personnes étudiées par l'INSEE avaient perdu
leur logement: divorce-séparation, changement de ville,
de région, de pays, impossibilité de payer son loyer...
Je tiens à dire que parmi les nombreuses dépêches
AFP une seule aborde de façon très évasive
ce sujet. Elle est datée du 29 janvier 2002 à 00h01.
Or a cet horaire les pages de la première édition
de Libération (dans laquelle figurait mon papier) étaient
déjà parties à l'imprimerie. Le bouclage
au service société se fait vers 20h00. Le tranfert
à l'imprimerie s'opère à 23h00 pour la première
édition et à 23h30 pour la seconde. Tout ça
pour vous dire, que vous tenez des propos gravissimes sans vérification
préalable."
(2) : certaines
données ont pû être recoupées, mais
c'est impossible pour chacun des points abordés dans leurs
travaux. Connaissant "un peu" la réticence ou
l'incapacité du milieu étudié à raconter
la vérité, toute la vérité, rien que
la vérité (le paragraphe sur l'attente d'un remboursement
de sommes dues est à pisser de rire !)... De toute façon,
cette restriction n'est apparemment même pas venue à
l'idée des journalistes.
(3) : Mizajour - je devrais : le 27 mars 2002,
à la remarque du Figaro "L'Insee
avance le chiffre de 86 000 SDF...", P. Declerck (nouveau
référent expert en sdf) répond : "Cette
enquête a été mal lue. Elle dénombre
86 000 personnes qui, en janvier 2001, ont eu recours à
un hébergement d'urgence ou à un repas chaud dans
les villes de plus de 20 000 habitants. A ce chiffre, il faut
ajouter ceux qui vivent à l'hôtel, dans des caravanes,
chez des amis, etc. Au total, 388 300 personnes, selon l'Insee.
Un chiffre inférieur à la réalité
d'après tous les observateurs. On n'a, par exemple, aucune
information sur les squats".
Source et copyright : Le
Figaro.
NB
: l'adresse de cette page a bien sûr été communiquée
à Serge July et à Tonino Sérafini.