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Logement

 

Tu as réussi à embobiner un proprio, à le convaincre de te louer une pincée de mètres carré contre une poignée d'euros et tu te crois rangé des voitures ? Tu es peut-être un peu rapide sur ce coup...

Quel que soit l'état de ce palace, il va falloir y vivre. Compte tenu du temps que tu passes à bosser à l'extérieur, ça risque de représenter pas mal d'heures de tête-à-tête avec ta table en formica. A propos de meubles, il y a peu de chances que tu aies suffisamment avec ce qui se trouve dans ton sac à dos et il va falloir compléter. Emmaüs, Saint Vincent de Paul, les deux Secours (le catho et le popu), entre autres, font ça très bien pour un prix avantageux. Pense à aller voir une assistante sociale avant et tu auras des tarifs préférenciels.

Mais voilà. Dans ton appart, tu te retrouves seul. Certes, les premiers temps c'est un soulagement énorme. Ne plus avoir à cohabiter avec 6 millions d'exclus, ça vous change la vie. C'est justement là où ça fait mal. Tu as vu qu'assurer le paiement de tes factures allait t'occuper l'esprit un certain temps. Mais pas tout le temps.

Rentrer chez toi et pouvoir enfin te vautrer sur ton canapé défoncé, dans un appart froid et silencieux, où nulle odeur de petit plat longuement mijoté n'éveille ton appétit n'a rien d' enthousiasmant à la longue. N'avoir jamais personne à qui raconter tes galères quotidiennes n'est pas toujours drôle. La perspective d'une gamelle de pâtes ou d'une boite de cassoulet devant un nanar à la télé ne provoque guère de manifestations d'allégresse.

Peut-être qu'au début tu inviteras du monde pour meubler un peu. Le problème vient du monde que tu peux connaître en étant exclu. Très vite, tes voisins sauront te faire comprendre qu'être locataire présente aussi quelques contraintes. Et puis recevoir, même à la bonne franquette, coûte cher. Et le pognon et toi, depuis que tu es allocation-logementisé, c'est pas l'amour fou.

Tu considères, à juste titre, que ta nouvelle adresse représente une promotion importante dans ta carrière d'exclu. Cette piaule, tu vas t'y accrocher. Parce que les foyers, les asiles, les nuits à la rue, c'est fini, plus question d'y retourner. Tu es prêt à tout sacrifier pour tirer le trait. Ca tombe bien, il va effectivement falloir tout sacrifier pour assurer ton maintien en ces lieux.

Tes revenus aléatoires et variés te font passer de l'euphorie à l'angoisse à un rythme effréné. A chaque période noire, tu sabres un peu plus dans ce que tu estimes pouvoir être sacrifié. Rapidement, tu as de plus en plus de mal à oser sortir de chez toi : dehors, c'est l'hostilité, le risque. Marcher sur le fil du rasoir, tu connais, mais lorsque le balancement prend un peu trop d'amplitude, ça devient un tantinet casse-gueule.

Alors que le RMI, la télé, le cassoulet, ça peut sembler rassurant à défaut de confortable. Plus facile en tout cas. Et tu risques fort de t'enfermer rapidement entre tes quatres murs. A refuser de retourner dans l'arène. A picoler pour soigner ton égo. A devenir vieux con avant l'âge. A t'enfoncer dans ta folie. A te suicider le social pour de bon.

OK, OK, c'est le côté noir de la chose, et tu es assez futé pour ne pas te fourvoyer dans cette impasse. Une petite chose, quand même, pour finir. Tu crois vraiment que quelques années dans la rue, en taule, à crever de faim ou de solitude, ça ne laisse pas de traces ? Et que tu peux reprendre tes petites affaires comme s'il ne s'était jamais rien passé ?

Lorsque les télécoms t'auront coupé la ligne, qu'EDF t'enverra des courriers recommandés et que tu seras interdit d'ardoise chez tous les commerçants du quartier, tu auras le temps d'y réfléchir.

 



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