Débrouille
Tout le monde ne peut pas gagner sa vie en manchant. Pas de panique, il y a d'autres moyens de se ravitailler en fraîche. Le plus simple est la récup. Les poubelles, si tu préfères. Fait pas trop la fine gueule, tu changeras d'avis quand tu découvriras ce que la société de consommation balance par la fenêtre.
Evidemment, les horaires de travail sont astreignant et les containers sont difficiles à fouiller, mais on a rien sans rien, dans la rue comme ailleurs. Il est également impossible de faire ce boulot si tu dors en foyer ou à l'asile du coin, à cause précisément des horaires.
- Fouiller les poubelles, soit, mais pour y chercher quoi ? - Tout ce qui peut se revendre sur un marché aux puces. Si tu ne vois pas bien ce que cela peut être, il suffit de faire un tour sur un de ces marché. Tous les exposants t'affirmeront que ce qu'ils proposent provient de caves & greniers, mais entre nous, hein...
Bouquin, carte postale, journal de la veille, gamelle, couvert, lampe de chevet , bibelot, fringue, godasses, truc impossible à identifier... Tout ce qui peut rentrer dans ton sac est susceptible d'être vendu. Pour se retrouver dans une poubelle, il a bien fallu que quelqu'un l'achète auparavant, non ?
- Mais si c'est jeté, c'est que c'est inutilisable ! - Dans une société normale oui, mais nous vivons dans une société de consommation. On jette parce que ça ne plaît plus. Parce que ça prend de la place. Parce que ça fait longtemps qu'on l'a. Parce qu'on en a un nouveau. Parce qu'on n'a plus la moindre idée de la raison pour laquelle on l'avait acheté. Parce que le conjoint n'aime pas. Parce qu'on fait le ménage. Parce que c'est un cadeau de quelqu'un qu'on aime plus. Parce qu'on a pas fait attention, etc.
Le fait est que dans les poubelles du consommateur, on trouve parfois des trucs n'ayant jamais servi. Et couramment des trucs pouvant encore servir. En tout cas, largement de quoi payer ton tabac et tes faux frais. Bon, il faut se salir un peu les mains. Et alors ?
- Mais si je trouve des trucs à vendre, comment je fais pour les vendre ? - Soit tu fourgues ton barda à un brocanteur, mais arnaquer un broc' n'est pas à la portée du premier venu. Soit tu te mets à ton compte et tu exposes tes trouvailles sur un marché. Attention, ne t'installes pas comme ça au hasard. Sur les marchés, les emplacements sont clairements délimités et facturés. Ils sont attribués par un placier qui est censé vérifier si tu as l'autorisation préféctorale de colporteur (accordée gratuitement dans certaines conditions). Tu auras plus d'intérêt à viser les puces ou les vides-greniers que les marchés alimentaires.
Il est bien entendu que ta tenue doit être nickel-chrome. Tes fringues, tout le monde s'en fout, mais il n'est pas indispensable de sortir ton litre de rouge toutes les 2 minutes. Et rappelle-toi que tu fais du commerce, alors comporte-toi en commerçant qui respecte ses clients tant que la vente continue.
Dans certaines villes, il existe des marchés aux puces +/- légaux. Si tu t'installes sur un marché non réglementaire, pense à déballer ta marchandise sur un carré de tissu. Si jamais un képi se pointe, attrape les 4 coins du chiffon pour remballer fissa et tire-toi sans rien demander. Bien sûr, ne fais jamais la connerie de vendre des machins +/- "tombés d'un camion", le jeu n'en vaut vraiment pas la chandelle.
Etablir le prix de ta marchandise peut te laisser rêveur, à juste titre. En fait, le prix ne dépend pas de ce que tu proposes à la vente mais de l'envie d'acheter du passant. Il faut être fin psychologue pour gagner sa croûte en vendant du résidu de poubelle mais c'est jouable. A condition de ne pas te prendre pour ce que tu n'es pas et de te contenter de ramasser en fonction de tes besoins : il faut écouler ton stock dans la matinée sinon tu te le coltines sur le dos le restant de la journée.
D'autres combines sont envisageables. Ici, l'imagination est au pouvoir. Certains ont par exemple inventé le métier de "parcmètreur". Cela consiste à déposer un ticket de parcmètre en règle dans les voitures en infraction dès que les carnets de PV s'approchent. Il faut un sens aigü de l'organisation et de l'observation pour réussir dans ce boulot, d'abord pour monter le bizness avec les stationneurs réguliers, ensuite pour ne pas rater son coup car un client qui se prend une prune est un client perdu. Un peu d'humour est également souhaitable pour que les képis prennent ta combine à la rigolade. Il faut aussi être en mesure d'avancer les piècettes avant de se faire rembourser avec quelque intérêt.
Pour rester sur les parkings, tu peux aussi traîner sur ceux des hyper-marchés. Gagner sa croûte consiste à ramener les chariots vides des clients pressés et à garder la pièce de 10 balles (1) pour service rendu à l'humanité consommateuse. Ca marche surtout les jours de pluie. Une variante te fait accompagner les personnes âgées pour pousser le chariot et attraper les produits en haut des gondoles. Cela prend énormément de temps pour un rendement financier modeste, mais pourquoi pas ? D'autant que tu peux étendre le service jusqu'à porter le cabat lourdement chargé jusqu'au sixième sans ascenceur. Tu seras au moins sûr de boire un coup, de grignoter un P'tit Lu (marque déposée) et d'apprendre comment on vivait avant l'invention du portable.
La notion de service de proximité est presque entièrement inexplorée, alors pense-z-y. Prend le temps d'observer les comportements de ceux qui ont de l'argent et répond à leurs besoins avant qu'ils soient formulés. L'exemple type est la corvée de chien : personne n'aime descendre faire pisser Médor au lever du jour ou à la tombée de la nuit. Si tes tarifs sont réalistes tu auras vite fait de te trimballer toutes les laisses d'une co-propriété. Profite-z'en pour leur apprendre le caniveau. Aux chiens, bien sûr.
Pour que tes petites combines arrondissent tes fins de mois, il faut innover en permanence, tes trouvailles étant très vite imitées par la concurrence et, hélas, trop souvent salopées. Mine de rien, si tu es sérieux, tu finiras par te faire connaitre et apprécier sur ta zone d'activité. Pour un exclu, ce n'est pas négligeable. Les avantages sont multiples, un peu de monnaie au fond de ta poche bien sûr, mais ce n'est pas le plus important.
Si tu sais y faire tu deviendras indispensable à la qualité de la vie sur ton secteur. Les gens n'hésiteront pas à faire appel à toi en cas de besoins ponctuels. Tu auras ainsi retrouvé une place pleine et entière dans la société. Certes, tu restes exclu, mais c'est précisément ton but, rappelle-toi. Vivre différemment, ne pas avoir l'argent et l'ambition comme maîtres à penser, prendre le temps de bavarder avec le chaland qui passe, être disponible, soulager quelques petites misères autour de toi. Bref, devenir l'idiot du village.
Qu'est-ce que cela peut bien te faire de ne pas avoir de stock-options pour tes étrennes ? Elle te manque tant que ça la société qui t'a claqué la porte au nez il n'y a pas si longtemps ? Allez, pour te convaincre une bonne fois pour toutes, voilà le secret qui fait que l'exclusion est bien plus enrichissante qu'un poste de direction dans l'industrie pétrolière. En étant exclu, tu possèdes le temps ! Autant que tu en veux, tu n'a qu'à te servir, c'est cadeau.
ndlr : certaines combines sont passées sous silence, des collègues continuant de les exploiter.