Nicolas Flamel
Important ! Un lecteur attentif précise gentiment (1) que ce centre d'accueil
est fermé depuis huit ans déjà (seulement
?). |
L'un des plus grands asiles de nuit de Paris est le centre Nicolas Flamel, installé rue du Château des Rentiers (sic). D'ailleurs, le petit monde de la rue parisienne le connait en tant que Château des Rentiers et s'en retourne donc, le soir venu, dormir au Château. C'est quand même plus classieux que de pieuter à l'asile, non ?
D'autant que Nicolas Flamel, comme asile, il se pose là ! 350 lits en fonctionnement courant, plus du double quand la bise est venue, ça mérite le détour. De l'extérieur, rien ne laisse supposer l'ampleur des dégâts. Coincé entre 3 rades infâmes (2), un mur aveugle et un solide portail métallique.
La rue ne prend vie que vers 17 heures, quand les premiers pensionnaires se rapprochent de l'étable. Quelques individus selon la police, plusieurs centaines selon les organisateurs, tous avec un sac à l'épaule, beaucoup avec une démarche incertaine (l'épuisement plus que l'alcool), la plupart avec des gueules d'enfers, c'est quelque chose qu'il faut avoir vu une fois dans sa vie. 17H30, ouverture du portail. La minuscule cour est aussitôt comblée, la rangée de chiottes du fond aussi.
Tout le monde se presse autour de l'escalier menant au guichet. Il s'agit d'être dans les cent premiers pour pouvoir s'installer à table à côté de ses copains. Au top départ, le guichetier fait défiler le troupeau devant lui. Tendre ta carte, un petit trou pour te signifier que tes quinze jours s'écoulent inexorablement, et zou, direction le réfectoire, ventre à terre ou du moins dans les talons. Ici, la table fait 80 de large sur 2000 de long, en centimètre, et il n'y en a que 5 pour préserver un peu d'intimité.
Le self ressemble à n'importe quel self. Sauf que tu n'as pas le choix. Pas de couteau ni de fourchette non plus, pour ta sécurité. Une cuillère fait aussi bien l'affaire et te permet même de manger plus vite. Parce que derrière, ça s'impatiente et ça le fait savoir. Rares sont les soirs où quelque client ne se prend pas les pieds dans un sac mal garé, provoquant systématiquement un début de bagarre au milieu des plateaux renversés.
Une fois le ventre plein, direction la douche. Une blouse blanche, appellation locale des surveillants, te file une serviette de toilette de la dimension d'une serviette de table et guère plus absorbante qu'un mouchoir de poche. Fait une marque au passage sur ta carte de pointage, afin de s'assurer d'un minimum d'hygiène. Une rangée de porte-manteaux d'un côté, une quinzaine de douches individuelles sans porte de l'autre. Entre les deux des types à poil, épaules basses et côtes saillantes, vont et viennent.
Ensuite, direction les étages. Les anciens aident les p'tits bleus à s'y retrouver parmi les 300 numéros. Un immense dortoir par étage, compartimenté par des cloisons légères. Six lits par stale. Empilés doubles l'été, triples l'hiver. Soit de 12 à 18 co-locataires. Literie réglementaire : 1 matelas, 1 traversin, 1 couverture.
Quatre chiottes par étages, largement insuffisants. Dans le couloir central, des abreuvoirs en faïence font office de lavabos, largement suffisant pour faire sa petite lessive.
Dès 20 heures, la moitié des clients ronflent déjà, empêchant l'autre moitié de s'endormir. Les journées au grand air sont harassantes. Jamais le moindre incident pendant la nuit. Trop épuisés pour ça. Les plus vieux se réveillent avant 5 heures, ce sont les seuls qui auront du papier cul. Les autre utilisent France-Soir.
Un bol de café, au lait si besoin, ou de chocolat. Trois rondelles de pain, 15 grammes de confiture ou de beurre. Il est parfois possible de reprendre du café ou des tartines. Ensuite, tout le monde dehors dans Paris désert. Il est grand temps d'aller proposer ta force de travail.
Petite mise en garde. Il est fréquent de voir quelques "patrons" venir recruter de la main-d'oeuvre aux portes des asiles. Les emplois proposés consistent généralement en ramonage, en vente de matelas ou en vendanges en saison. Le naïf se dit : pourquoi pas moi ? On revoit tout aussi généralement le naïf quelques temps plus tard, difficile à reconnaître sous ses coquards et sa mine déconfite. Encore un qui se sera fait couillonné à bosser craignos, nourri d'un litre de rouge, logé en caravane, et à s'être pris une branlée sitôt prononcé le mot "salaire".