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Affame ton chien, il
te suivra ;
engraisse-le, il te mangera.
(Abu Djafar al-Mansur)
Réinsertion
Piqûre de rappel
La mise en pli
Un peu de respect,
svp
L'arnaque au quotidien
Engage-toi,
tu verras du pays
Un peu d'utopie ne te
fera pas de mal
Un peu de réalisme
non plus
Mais alors, plus d'espoir ?
Demain
est un autre jour
Tu le savais, toi, que tu t'étais déjà fait insérer ? Pourtant, ré-insertion, hein... Et bien parlons-en un peu, de cette primo-insertion.
A peine né(e), la famille et les voisins de palier s'extasient déjà sur ta ressemblance frappante avec certain qui parfois s'en passerait bien. Le mal est fait : tu fais partie de la famille. Cela implique que pour de longues années, on se chargera de penser à ta place et pour ton bien. Gare à tes fesses si tu prétends discuter ce qu'on t'enseigne. Au début, on te montre quelques modèles à reproduire : papa, maman pour commencer facile.
Avant que tu saches pisser sans mouiller tes chaussures, on t'envoie à l'école. Maternelle pour commencer en tendresse.
« pour exister, tu dois gueuler plus fort que le copain. Ou lui retourner une torgnole pour qu'il la ferme un peu. Ou courir te réfugier dans les jupes de la maîtresse » |
Et ce sont les premières grandes leçons : pour exister, tu dois gueuler plus fort que le copain. Ou lui retourner une torgnole pour qu'il la ferme un peu. Ou courir te réfugier dans les jupes de la maîtresse. Lorsque tu auras bien assimilé ces trois méthodes, tu seras prêt à affronter le monde des grands.
On te changera d'école. Voici le temps de l'éducation. En France, l'éducation est le plus souvent nationale. Ceux qui rentrent aujourd'hui en cours préparatoire en prennent pour quinze ans. En moyenne car un certain nombre sera largué en route tandis que d'autres resteront coupés du monde pour quelques années encore.
Quinze ans à passer plus de temps avec instits et profs qu'avec tes parents. Et on s'étonne que la famille ne représente plus grand chose. Quinze ans à être parqués par centaines dans un espace clôturé. A voir tes journées découpées en rondelles de temps à respecter absolument. Quinze ans à voir tes "progrès" contrôlés et évalués en permanence. Quinze ans à être noté sur ta "valeur" : 150 bulletins de notes, 1500 verdicts: peut mieux faire.
A 8 ans, tu en sais beaucoup plus que papy et mamy. A 12 ans, tu en remontres à papa et maman. A 15 ans tu as honte de l'ignorance crasse de tes vieux. A 20 ans tu découvres, s'il te reste un peu de bon sens, que ce que tu sais ne correspond pas toujours à la réalité. Et que tout compte fait tu n'as pas appris grand chose en dehors de ce qu'il est indispensable de savoir pour être un bon petit consommateur.
Tout ça pour pouvoir entrer tête haute dans une société comptant 11 millions de chômeurs avoués et 6 millions d'exclus recensés (en 1999). Soit, en données corrigées des variations politiques, un quart de la population du pays sacrifié pour que les trois quarts restant conservent leurs oeillères et leur mode de vie. Une société où celui qui ne travaille pas est un moins que rien (sauf si papa est quelqu'un de notable).
Ces quinze ans d'éducation +/- nationalisée sont destinés à faire de toi un gagnant. A grands coups de sélections et de compétitions. Où le but n'est pas d'être bon mais d'être le meilleur, le vainqueur, le seul qui montera sur le podium. Un seul gagnant, tous les autres perdants.
Si, pour quelque raison que ce soit, tu n'as pas bien assimilé la leçon, tu fais bien de lire ces pages.
Dans la société selon Commerce, tout le monde doit consommer. Sinon cela ne fonctionne pas. Il est donc indispensable que même les exclus redeviennent des consommateurs.
« poser la question de savoir si c'est toi-même qui t'es exclu ou si c'est la société qui t'a claqué la porte au nez présente quelque intérêt » |
A l'origine, l'idée était de diminuer l'impact des impondérables de la vie. En cas de pépin la société te file un coup de main, à charge pour toi de contribuer à la cagnotte quand tout va bien. Egalité, fraternité, et tout ça. Comment se retrouve-t-on alors avec un accroissement vertigineux des inégalités dans tous les domaines ? Chercher une réponse t'occupera pendant tes longues soirées solitaires.
Officiellement, tout le monde possède à la naissance la même "chance" de pouvoir se hisser sur la plus haute marche. Un coup d'oeil sur l'origine sociale des exclus laisse présager que le concours est quelque peu biaisé. Le test n'est là que pour rappeler des évidences qu'on finit facilement par négliger.
D'autre part, poser la question de savoir si c'est toi-même qui t'es exclu ou si c'est la société qui t'a claqué la porte au nez présente quelque intérêt. Là-dessus, tout a été dit, principalement contradictions et âneries. Toutefois, quelques vérités ont peut-être été sous-estimées. Si on recrute les bons exclus dans les catégories socialement malmenées, ce n'est pas par hasard.
Réfléchir sur ta réinsertion sans connaître ce qui a provoqué ton exclusion n'est pas une perte de temps, mais cela n'y va pas de beaucoup. L'expression traitement social est parfaitement adaptée : on essaie de soigner les effets visibles, les symptômes, en espérant que cela fera disparaître les causes. Certes, un peu d'optimisme ne peut pas nuire à ton affaire.
Ca te fatiguerait de montrer un peu plus de respect ?
Depuis que n'importe qui peut devenir exclu et que beaucoup ne s'en privent pas, l'Etat s'est mis en devoir de réinsérer tout ce beau monde. L'instauration du RMI aura au moins eu comme conséquence d'alimenter nombre de débats. Reste à savoir si ces débats ont eux-mêmes alimenté quelques affamés, mais ceci est une autre histoire.
Le French Way Of Life montre une certaine propension à oublier du monde sur les bas-côtés. Un bon 15%, en ne tenant compte que des cas les plus atteints. Cela commence à se voir sur la photo et ça fait désordre pour l'image de marque du pays. Mais il est facile d'y remédier : il n'y a qu'à réinstaller tout ce bas peuple dans le train de la consommation et le tour est joué. Moteur ? Action !
On te refile du fric, à charge pour toi de le remettre aussitôt dans le circuit commercial pour que l'opération soit financièrement blanche.
« celui qui n'a plus rien à perdre devient très dangereux. Quand il n'y en a qu'un petit nombre, cela sert à l'entraînement de la police, mais en cas de prolifération il faut réagir » |
D'autre part, tous ces gens qui traînent n'importe où et qui ne se lavent pas risquent de propager des maladies. Te soigner gratuitement ne fera pas grand effet sur le déficit de la Sécu, d'autant que tu as vu ce qu'il en était de la santé de l'exclu. Ca c'est de la bonne gestion, et on n'est pas obligé de dire partout que les nantis coûtent plus cher, et de beaucoup, à entretenir.
Accessoirement, les distributions de produits alimentaires issus de la surproduction permettent de fluidifier le marché, de maintenir les cours et de se faire mousser à la télé. Que du bon !
Les exclus sont tous des voleurs et des violeurs potentiels, tout le monde sait ça. Même l'Etat a fini par prendre conscience que celui qui n'a plus rien à perdre devient très dangereux pour son entourage. Quand il n'y en a qu'un petit nombre, cela sert à l'entraînement de la police, mais en cas de prolifération il faut réagir. Le RMI sert aussi à te redonner quelque chose à perdre et t'aide à te tenir tranquille. Pendant ce temps-là, le reste du monde peut continuer son bonhomme de chemin la conscience flattée : il vient de faire une bonne action.
Puisque notre société ne valorise que l'argent durement gagné à la sueur de son front (bien que ceux que leur travail fait physiquement suer soient les plus mal payés), l'Etat s'engage à favoriser ton retour sur le marché du travail. Ne te fais aucune illusion, ton seul boulot sera de t'inscrire comme demandeur d'emploi. Un gros volume de chômeurs calme les revendications salariales, restreint l'encartement syndical et suggère aux employés de la fermer sur leurs conditions de travail.
Cela permet aussi aux entreprises d'exploser les conventions collectives et autres avantages durement acquis par les anciens. Externalisation, sous-traitance, intérim, contrats à durée déterminée facilitent le contournement des accords d'entreprise récalcitrants.
« sacrifier une petite frange de la population pour que ceux qui sont productifs le soient plus encore » |
L'Etat lui-même use et abuse de la combine en étant le premier employeur de précaires (20% des fonctionnaires seraient des faux !). Il se permet d'en rajouter une couche en ne cotisant pas aux caisses de chômage, ce qui signifie que si tu bosses en bouche-trou pour l'Etat, tu risques de ne pas toucher d'indemnités de chômage lorsque l'échéance sera venue. Ton seul espoir est que ton contrat soit renouvelé indéfiniment, ce qui est parfois illégalement le cas. Presque fonctionnaire donc, mais sans les avantages du. L'espoir est une forte motivation pour filer droit.
Bref, si la machine fonctionne, c'est grâce à toi et à tes potes. Il suffit de sacrifier une petite frange de la population pour que ceux qui sont productifs le soient plus encore. Pour choisir qui sera exclu, on prend les plus fragiles, les plus faibles, les plus dépendants, les plus indépendants, tous ceux qui s'éloignent du modèle standard et le reste au hasard pour être équitable. Ce n'est pas compliqué à comprendre.
Si l'exclusion n'existait pas, vois-tu, il faudrait l'inventer.
La même chose vu de ta fenêtre
Vu comme ça, la réinsertion peut ressembler à une vaste arnaque. Si tu es plus utile à la société en étant exclu qu'en trouvant du boulot, tu dois bien t'attendre à ce que ta situation s'éternise quelque peu. Pourquoi alors tout ce boucan sur la réinsertion, les stages de retour à l'emploi et les aides aux chômeurs ? Parce que, politiquement correct parlant, il est impossible de reconnaître qu'on a besoin des exclus pour faire évoluer le pays.
Et des millions d'exclus en colère, ça pourrait faire du vilain s'ils n'avaient pas un os ou deux à ronger. Quelques voitures brûlées et vitrines pillées en fins de manifs ne sont vraiment pas cher payé par rapport à la violence de l'exclusion.
L'une des caractéristiques principales de l'exclusion est que tout ce qui est censé être fait pour t'aider à en sortir est destiné tout au plus à te faciliter la misère au quotidien. Affirmer le contraire est méconnaître la réalité. Des arguments pour la démonstration ?
- Sans parler de la distribution de Vache-qui-rit ® qui t'empêche seulement de mourir
de faim devant tout le monde, le régime alimentaire auquel
tu vas te trouver soumis par manque de fric n'est pas fait pour
te permettre d'utiliser au mieux ta force de travail.
-
Les fringues d'occase que te refile le Secours Catho ou Popu servent
de cache-misère. Sapé de frais, le clodo est plus
difficile à distinguer dans une foule. Note que cela n'empêche
pas tes collègues et les flics de te repérer de
loin.
- La piaule que tu payes à coup d'allocations
logement ? Une récente proposition de loi visant à
compliquer, oh légèrement, la vie des marchands
de sommeil est bien en sommeil quelque part, mais où ?
- Le RMI que les contribuables te versent si généreusement
? Largement suffisant pour ne pas crever. De là à
prétendre refaire ta vie...
- Les petits
boulots, intérim, CDD, stages rémunérés
et autres CES ? Voir ci-dessus.
- L'allocation
dégressive des ASSEDIC ? Tu peux considérer qu'il
s'agit d'une préparation à l'exclusion. En un rien
de temps tu te retrouves à gagner moins qu'un exclu débrouillard,
alors dépêche-toi d'apprendre.
- L'allocation
handicapé ? Déjà que tu es officiellement
handicapé, si tu n'as que ça pour t'en sortir, t'es
assez mal barré. Et tu voudrais bénéficier
de la loi qui oblige les entreprises à embaucher des handicapés
? Mais elles préfèrent payer l'amende, voyons !
- Les soins gratuits ? Ca se saurait si l'exclu était
en aussi bonne santé que le contribuable de base. Au point
qu'il est difficile de démêler qui de la pathologie
ou de l'exclusion fait la poule et qui fait l'oeuf.
-
La possibilité de tout un chacun de fonder un foyer épanouissant
? Ah oui, bien sûr, bien sûr...
- Les
rééducateurs professionnels toujours prêts
à rendre service ? Justement.
- L'accès
réservé à des emplois adaptés ou protégés
? C'est quoi déjà la définition de "ghetto"
?
- La dépendance dans laquelle tu te complais
? On te reproche assez de n'être qu'un assisté, mais
comment faire autrement si tu n'as pas la moindre chance de redevenir
maître de ton avenir pour toutes les raisons qui précèdent
?
Muni de tout cela, si tu persistes encore à rester exclu, c'est vraiment que tu le veux bien.
Pour la vie et plus si affinité
L'exclusion, coco, c'est pour la vie. Ca ne veux pas dire que tu resteras exclu toute ta vie, mais qu'un passage par la case exclusion changera irrémédiablement ton séjour ici-bas. Outre des cicatrices à faire pâlir un légionnaire, une expérience réussie dans ce métier te donne de solides arguments pour contester l'ordre établi. Pas de raison de t'en priver, lui-même ne manquant aucune occasion de te stigmatiser.
Juste un léger problème : même en criant fort, tu ne risques pas d'émouvoir grand-monde dans ton désert. Pourquoi ne pas contacter l'une des nombreuses associations qui militent en faveur des moins-que-rien ? Le choix est vaste et rien ne t'interdit d'avoir une demi-douzaine de cartes pour ne prendre que ce qui t'intéresse dans chaque groupe.
Tu es sceptique quant au "sérieux" de ces rassemblements ? Tu es effrayé devant certaines de leurs actions ? Ne te laisses pas impressionner par les gesticulations médiatiques, l'essentiel du boulot se fait dans l'ombre, loin des caméras de télé et des calepins de journaleux.
« Remettre ton cher nombril à sa juste place, un parmi quelques millions d'autres, est un exercice salutaire » |
Dans ces "collectifs", tu pourras réapprendre à parler correct en fricotant avec des syndicalistes, des enseignants, des pros du social, des préretraités venus se ressourcer en se frottant avec la réalité de l'exclusion. Sans compter bon nombre que tu n'aurais jamais supposé qu'ils puissent être aussi exclus que toi. Ces points de contacts improbables entre deux mondes souvent présentés comme opposés sont réconfortants. Si la pensée unique existe ce n'est pas chez les individus mais dans les appareils institutionnels censés les représenter.
C'est dans les différents "collectifs" qu'on peut le mieux appréhender les conséquences de l'exclusion. Forcément, puisque s'y côtoient des représentants des deux planètes. C'est là que tu pourras tenter de faire comprendre ta vision des choses, c'est là aussi que tu pourras regarder autrement ta situation. Remettre ton cher nombril à sa juste place, un parmi quelques millions d'autres, est un exercice salutaire.
Il ne te reste plus qu'à refaire le monde
Il est mentionné quelque part sur ce site que l'exclusion est en train de révolutionner le monde. Excessif, bien sûr. Quoique. La chose étant devenue phénomène de masse dans bien des pays, il en résulte une tranche importante de citoyens ayant eu l'occasion de penser la société. D'autant qu'en plus des exclus, il faut ajouter tous ceux qui se sentent plus ou moins interpellés par la chose. Et ça, mine de rien, ce n'était pas arrivé depuis un sacré bout de temps.
C'est l'occasion de remettre en cause bien des idées reçues et cela permet l'émergence d'une conscience individuelle mise au service de la collectivité.
« Et si les exclus étaient en train de réinsérer les inclus dans une société construite sur des valeurs renouvelées ? » |
Les gens sont souvent présentés comme étant devenus furieusement individualistes. Il faut peut-être aller un peu plus loin et regarder quelles formes prend ce retour sur l'individu. La profusion d'associations, la généralisation du "collectif", l'engagement à géométrie variable, la recherche d'informations non filtrées ou traitées autrement, l'appropriation de nouveaux outils de communication ne sont pas la marque d'un désengagement de la chose publique. Bien au contraire il s'agit d'une reconquête au détriment de structures sclérosées et de fait non représentatives.
Et si les exclus étaient en train de réinsérer les inclus dans une société construite sur des valeurs renouvelées ? Utopie ? Bien sûr. Mais sait-on jamais.
L'exclusion n'est pas qu'une question d'argent, ça serait trop simple. Le web étant ce qu'il est, autant jeter un coup d'oeil sur le travail des autres, ce sera plus rapide.
Etat des lieux provisoire (année 2000)
Tu viens de voir que ton métier d'exclu assisté consistait à être le grand méchant loup qui fait peur aux inclus productifs et leur apprend à rester bien sage. La combine marche tellement bien qu'il y aura bientôt plus de loups que de moutons. Certains pays à la pointe de la démocratie et de la liberté (Etats-Unis, au hasard) l'ont bien compris et ont entrepris de remettre un peu d'ordre.
Aux States, il y a officiellement moins de 5% de chômeurs. Il y a aussi 5% de la population en âge de travailler entaulée ou sous contrôle judiciaire serré, mais ça n'a rien à voir bien sûr. Un taulard n'est pas un demandeur d'emploi. Un ex-taulard accepte facilement n'importe quel travail à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions. Note bien qu'on parle de prix, pas de salaire...
- Oui, peut-être, mais les USA, c'est loin ! A la rame, oui. Avec Internet c'est à moins de deux clics de chez toi... Mais parlons Europe. Belgique, par exemple. Le RMI local s'appelle Minimex.
« La dernière fois qu'ils ont eu autant de chômeurs qu'aujourd'hui, ça nous a coûté une guerre mondiale » |
Une autre ? Pays-Bas, cette fois. Officiellement moins de 5% de chômeurs. 20 % si on les compte comme on le ferait ailleurs. La différence ? Des braves gens qui travaillent. Une poignée d'heures par mois. Mais surtout plus de 10% de handicapés inaptes au travail. Pour devenir handicapé, il suffit d'être atteint de maladies graves, genre chômage longue durée, peu de qualification, origine étrangère, bref, ce qu'on appelle chez nous exclusion.
Encore ? Espagne : récemment, tu n'auras pas manqué de lire dans ton canard préféré les articles sur ces esclaves (mais c'était des immigrés, hein...) de la production agricole compétitive qui se sont fait consciencieusement ratonner pendant une paire de jours. Quant au métier le plus lucratif du pays, c'est directeur d'agence d'intérim.
Angleterre ? Voir Etats-Unis, mais cette fois à deux heures de train.
Allemagne ? La dernière fois qu'ils ont eu autant de chômeurs qu'aujourd'hui, ça nous a coûté une guerre mondiale.
Italie ? Si les secteurs gris de l'économie n'étaient pas si importants, il n'y aurait plus d'Italie.
On arrête là le massacre, ça n'a rien de drôle. Il est aujourd'hui (05/2000) impossible de faire des comparaisons entre pays : les chiffres ne sont jamais calculés de la même façon (1). Ce n'est pas un hasard. Mais tu as tout sous la main, en France, en bas de chez toi. Actuellement (05/2000 toujours), les syndicats représentatifs et le patronat sont en train de tailler un short dans ce qu'il reste de protection des travailleurs. Celle des non-travailleurs est en cours d'embaumement pour l'exposer au musée. Certes, il est temps que la société évolue. Dommage que ça tombe juste au moment où les plus faibles ne sont plus représentés officiellement.
Le chiffre de 60 millions de pauvres est couramment accepté pour l'Europe des 15. Pour 250 millions d'habitants. Les dix dernières années ont été catastrophiques à un point tel que les dirigeants refusent d'affronter la réalité autrement qu'en augmentant crédits et entraînements des forces de sécurité et en élargissant l'offre pénitentiaire. La reprise de la croissance va faire rêver beaucoup de monde, la déception va être terrible.
En France, la Une du jour est consacrée au franchissement dans le bon sens de la barre des 10% de chômeurs. Parfois, un beau graphique en page intérieure rappelle l'évolution sur les 25 dernières années.
« les dirigeants refusent d'affronter la réalité autrement qu'en augmentant crédits et entraînements des forces de sécurité et en élargissant l'offre pénitentiaire » |
Entendre quotidiennement, pendant 25 ans, parler du chômage. Pour certains, des années de galères sans nom, des blessures profondes, des humiliations innombrables. Quelques suicides, beaucoup d'ulcères, de nombreuses insomnies plus un nombre inconnu de folies. Pour ceux qui se les sont pris en pleine tête, ces 25 ans, les dégâts sont considérables.
Beaucoup se sont battus comme des diables, du moins au début. Mais on ne peut se battre pendant 25 ans sans écoper de balles perdues. Il y a une limite à ce que peut endurer un individu. Et quel que soit le plein emploi qui remplit aujourd'hui les manchettes, avec un rien d'anticipation, toute une tranche de population est définitivement hors course. Physiquement et moralement.
Reste plus qu'à les abattre. Le peloton est en train de se mettre en place : celui qui ne travaille pas est pire que le fainéant, le profiteur, l'assisté qu'il était avant. Il est le traître. Celui qui affirme par sa seule existence que le bien-être et le pouvoir d'achat du plus grand nombre s'est construit sur le sacrifice de 10% de la population. Tiens, on retrouve le 10 % !
L'espoir n'est pas si nourrissant qu'on le dit
Maintenant, il va falloir que tu te décides. Soit tu essaies de te réinsérer, c'est à dire de rentrer dans le moule, soit tu te mets à ton compte. Et tu revendiques ton statut d'exclu. La société ne veut pas de toi ? Qu'elle crève ! Si l'espoir de changer le monde ne va pas remplir ta gamelle, la colère, elle, peut le faire.
Comment ? Simple. Tout (ou presque...) ce qui pourrit ta vie vient de ce que ton modèle de référence reste le monde d'où tu es exclu. Bazarde tout ça par-dessus bord, ton sac est déjà bien assez lourd sans t'encombrer de trucs inutiles. Tu n'as pas de quoi t'acheter des Nike ? Tu ne vas pas aux sports d'hiver ? Tu n'as pas de crédit à rembourser ? Tu n'as pas la médaille pour 20 ans dans la même boite ? Tu n'as pas de pelouse à tondre devant ton pavillon de banlieue ? Et alors !
Tu as du temps pour réfléchir. Tu peux agir selon tes valeurs personnelles. Refuser la compétition. Négliger la publicité. Aider d'un geste ou d'une parole.
« revendique ton statut d'exclu. La société ne veut pas de toi ? Qu'elle crève ! » |
Refuse d'être receleur d'idées reçues sans que tu n'aies jamais rien demandé. Tourne le dos à l'accumulation de biens matériels. La nouveauté n'est pas de ce côté de la barrière. Tes années d'exclusion vont te servir, quoi qu'il arrive tu sauras toujours te tirer d'affaire. De parasite inutile tu te retrouves précurseur, c'est pas de la réinsertion bien comprise, ça ?
- C'est pas demain la veille ? Non, c'est déjà du passé. Jette un coup d'oeil sur ces 25 dernières années, ces fameuses années de crise de la civilisation occidentale. La rapidité et l'ampleur des changements sont ahurissant. Même les plus réactionnaires sont contraints de reconnaître que "tout fout l'camp". Et ce n'est pas un mal, l'affaire était bien mal engagée.
Aujourd'hui, si tu ne veux pas avoir l'air trop ringard, tu dois penser droits de l'homme, développement durable et économie solidaire. En français courant, on dit liberté, égalité, fraternité.
Il est devenu difficile de prétendre ignorer ce qui se passe chez tes proches voisins, habiteraient-ils la Nouvelle Calédonie. Pour cause de WWW, CNN, ONU, OMC et autres initiales obscures (2). Il se trouve que notre civilisation autoproclamée occidentale autant que supérieure ne représente pas tant de monde que ça sur les 6 milliards de passagers que compte la planète. Et que les ignorés commencent à se faire entendre. Et qu'ils sont vachement plus nombreux que nous...
Ayant pu constater le cul-de-sac dans lequel la société de consommation nous a enfournés, il faut réfléchir à ce qu'on va bien pouvoir inventer pour rattraper le coup. Accessoirement, tu risques de t'apercevoir que ta condition d'exclu, à priori peu enviable, est en fait très confortable par rapport au quotidien de plus de la moitié de l'humanité.
Le siècle passé (le XXème) a été remarquable par sa violence, relire Hobsbawm - L'âge des extrêmes - en cas de doutes. La plus insidieuse a été de ne pas utiliser le progrès technique pour réduire les inégalités entre les hommes mais au contraire pour les multiplier. Il n'y a jamais eu autant de porteurs de piques potentiels pour si peu de têtes à embrocher.
Ca va bien finir par se savoir un jour ou l'autre.